Le bâtiment de l'Esplanade du Chêne (casino)

et la dédicace en latin de la maison du tirage

 


 

I. L'Esplanade du Chêne et la "maison du tirage"

Dès le XVème siècle, l’Esplanade du Chêne était déjà l’orgueil des Aubonnois. Sa situation, ses allées bordées de majestueux arbres séculaires faisaient l’admiration des visiteurs. Au cours des siècles, elle servit successivement comme pâturage pour les chevaux, place d'armes, promenade, lieu de manifestation populaire et terrain de sports. Au début du XVIIIe siècle, des bancs sont posés pour les promeneurs. Pratiquement jusque vers la fin du XIXe siècle, la partie comprise entre l'Avenue du Chêne et la rue du Mont-Blanc ne comporte alors que des prés et des jardins appartenant à divers propriétaires du lieu.

La plus ancienne société militaire aubonnoise, les Arquebusiers, remonte au XVIe siècle. La première mention prouvant leur existence date du 5 avril 1550. Dans les archives de la ville est alors mentionnée la décision suivante : « Plus a esté conclu faits et construyre une petite mayson et syatte en la place du Chasne pour les arquebouziers . »

C’est donc en 1550 que la ville fait édifier une petite maison pour abriter les arquebusiers qui tiraient le « papegay » ou « papagai du vieil allemand per roquet ». La cible était un oiseau en bois, de la grosseur d’un pigeon, fixé au sommet de plusieurs mâts à une hauteur d’environ 30 mètres. Le tireur qui parvenait à abattre l’oiseau était sacré roi du tir. Il était ramené à son domicile en grande pompe et recevait des prix en nature, par exemple du sel, ou en espèces.

En 1768, le Conseil de la Ville approuve le devis de l’architecte Exchaquet pour la construction d’une nouvelle maison du tirage. « Elle devra être assise un peu à bise de celle existante. La silhouette de la façade côté Genève était garnie de colonnes non en bois mais en marbre d’Aigle (comme celles d’aujourd’hui). Le coût sera de 2'051 florins ».

 

 

L’espace compris entre le Tirage et la butte des cibles était utilisé pour les exercices et manœuvres militaires d’Aubonne et des environs. Le Major de la ville faisait parader sa troupe sous les regard des habitants. Lors de périodes troublées, on dressait à l’extrémité de l’Allée un feu, prêt à être allumé en cas de danger ; c’était ce que l’on appelait le « Signal ».

 

A la lecture du plan de 1821 reproduit ci-dessus, il est intéressant de relever l'existence à cette époque d'une "salle à danser" (en bleu sur le plan), probablement sous la forme d'une cantine, à l'emplacement approximatif de l'actuel Centre culturel et sportif du Chêne. On notera par ailleurs l'existence d'une construction (en jaune sur le plan), située au SE de l'actuel restaurant de l'Esplanade (Casino), au-dessus des vignes propriété du Sieur Frédéric Détraz. S'agissait-il alors d'une grange ou déjà de l'habitation existante ? Par ailleurs, bien que cet élément n'apparaisse pas sur la portion du quartier du Chêne reproduite ci-dessus, les actuels jardins communaux compris entre l'allée du Chêne et la route d'Allaman appartiennent alors à divers propriétaires; en particulier, la parcelle de vigne toujours en l'état et le pavillon du Chêne adjacent (alors désigné comme cabinet) sont la propriété de M. Meuron-Osterbrück, de Neuchâtel.

En 1860, la municipalité et le Conseil communal conviennent de rénover la maison du tirage ; 5 projets sont présentés par la Municipalité, dont le dernier qui serait exécuté sur l’emplacement de l’ancien pour un coût devisé à Fr. 2'700. La commission du Conseil retient le projet 4, soit sur l’emplacement légèrement plus à l’Ouest. Montant du devis Fr. 9'379. Aucune décision n’est prise. Six mois plus tard, la Municipalité revient avec un nouveau projet tendant à adopter l’emplacement du stand existant pour une nouvelle construction, avec au rez-de-chaussée un stand de 7 places, une salle de rafraîchissement, une cuisine, une cave, au 1er étage une salle de banquet ou de bal. Ce projet fut enfin accepté par la commission et le Conseil.

Le 10 février 1866 marque la naissance de la société de tir aux armes de guerre. Le comité a choisi un emplacement aux Vernes, lieu actuel du stand de tir, où il semble qu’un premier stand y a été installé dès cette année là. En 1884, la Municipalité donne son accord pour créer à cet endroit un nouveau stand et une nouvelle ligne de tir. La société demande qu’il soit construit un couvert qui sera posé et payé par ses soins.

 Le programme des tirs mis en place pour avril, mai et juin 1883 fait apparaître que les deux stands ont été utilisés simultanément jusqu’à la fin du XIXe siècle, les tirs étant programmés tant au Chêne qu’aux Vernes.

 Le 18 avril 1899, la Municipalité dépose un préavis devant le Conseil. Il relate d’abord tous les défauts de la construction de l’édifice du Chêne et surtout le stand de tir qui n’a plus sa raison d’être à cet endroit.


II. La dédicace (épigraphe) en latin

2.1. Localisation

Bien que d'une dimension relativement réduite, la frise portant la dédicace, remise en valeur à l'occasion de la rénovation des locaux de service du rez-de-chaussée menée en 2002 par M. Guy Mercier, architecte mandaté par la Commune d'Aubonne,  est actuellement placée dans le haut du mur face à l'entrée du hall de l'actuel restaurant de l'Esplanade. Elle se présente sous la forme de 3 éléments distincts avec au centre l'écu de la ville d'Aubonne

 

2.2. Aspect général

Cette dédicace est intéressante à plus d'un titre :

  • Tout d'abord, elle nous confirme le fait qu'il existait bel et bien  au cours du XVIe s dans le quartier du Chêne et à un autre emplacement une construction antérieure à celle du Casino, édifié au bout de l'allée du Chêne à la fin du XVIIIe siècle, cet élément en constituant probablement le seul vestige matériel, conservé sans doute en raison de son intérêt historique et culturel et qui devait trouver place au-dessus de l'entrée du premier édifice ;

  • elle renseigne ensuite sur l'affectation donnée à ce bâtiment si l'on se penche sur la signification du texte qui y a été taillé.

Vue générale de la dédicace avec au centre un écu (probablement celui d'Aubonne), accompagné de deux éléments à gauche et à droite sur lesquels figure les phrases en latin, dont nous donnons ci-après la retranscription latine.

 

 

Partie gauche de la dédicace  Elément central     Partie droite de la dédicace

 

POSSET VTIN 

GENVE RECREA 

RI LAETA  IV  

VENTVS    

 

Armes de la ville d’Aubonne avec la mention de la date de 1563

 

 

 

ALBONA HANC 

MAGNO CON

DIDIT AERE

 DOMVM

POSSET UT INGENUE RECREARI LAETA IUVENTUS

 

ALBONA HANC MAGNO CONDIDIT AERE DOMUM

Pour que la jeunesse  puisse s’y divertir dans la joie et d'une manière libérale, Aubonne a construit cette maison (en y consacrant) une grande dépense

                                                                    

Au terme des travaux de rénovation des locaux de service et du hall du rez-de-chaussée,  il a été fait appel dans le courant de 2002 à M. Jean Corminboeuf, ancien professeur de français et de latin à l'Etablissement scolaire d'Aubonne, ainsi qu'à M. Jean-Guy Demont, son successeur actuel à ce poste, afin d'établir la signification et la portée de cet épigraphe en latin. Qu'ils veuillent bien trouver ici notre sincère reconnaissance pour leurs contributions respectives !

Dans le contexte particulier de la dédicace, le terme latin de "ingenue" peut se traduire par : en homme libre, d'une manière libérale (cf. Dictionnaire latin-français, Henri Goelzer, 1966, Garnier Frères, Paris). Selon les explications données, il pourrait aussi faire référence à l'éducation au XIXe siècle, où les arts libéraux comprenaient une formation latine et l'étude de la littérature française du XVIIe siècle. Cette précision serait de nature à expliquer la raison du maintien de la dédicace à l'endroit où elle se trouve actuellement  ou, le cas échéant, d'un éventuel remaniement du texte de la dédicace au moment des travaux de construction de l'actuel immeuble du Casino.

2.3. Questions ouvertes...

Si la traduction donnée pour la dédicace paraît bien se rapporter à un lieu de réjouissances pour la jeunesse d'Aubonne, la date de la dédicace ne nous laisse cependant pas sans interrogation. Pourquoi en effet avoir mentionné la date de 1563 sur une dédicace qui paraît se référer à un édifice dont les archives font remonter la construction à 1550 ? S'agirait-il d'un report dans le temps de la pose de la dédicace en raison d'un retard dans les travaux de construction de l'édifice ? Seul un examen plus complet des archives disponibles pourra permettre de répondre à cette question à l'avenir.

 

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